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02/08/2024Kenny Chane, éleveur de poules pondeuses… et heureuses
Il y a cinq ans, Kenny Chane quittait la stabilité d’un contrat à durée indéterminée pour se lancer dans l’élevage de poules pondeuses et la production d’œufs bio. Sur son terrain d’un hectare, situé sur le plateau de Taravao, ses 1 000 poules courent et picorent joyeusement au milieu des arbres fruitiers. Nous avons visité son exploitation, Natura Farm, véritable modèle d’agroforesterie et d’élevage soucieux du bien-être animal.
Ancien salarié des secteurs de la banque et des télécommunications, Kenny Chane a décidé, il y a cinq ans, de troquer sa casquette de chef de service contre un chapeau moulin en pae'ore. Il s’est ainsi installé sur son terrain d’un hectare au plateau de Taravao afin d’y réaliser son rêve : créer une ferme écologique et durable baptisée Natura Farm, véritable « symbiose du bien-être animal, du bien-être environnemental et du bien-être de l’éleveur », comme il aime à présenter son activité.
Sur ses terres, mille poules pondeuses se promènent librement, se précipitant pour accueillir et picorer les pieds des quelques rares visiteurs qui les approchent. En effet, la production de Natura Farm se concentre sur les œufs bios, certifiés par Bio Pasifika en novembre dernier, et, pour des raisons sanitaires, Kenny ne souhaite pas ouvrir son exploitation au public, bien que les demandes se fassent pressantes pour découvrir cette ferme citée en exemple.
« La norme bio veut qu’on ait des parcours (espaces extérieurs arborés où les animaux peuvent adopter un comportement naturel, NDLR) de 4 mètres carrés par poule. Moi, j’ai plus de 5 000 mètres carrés pour 1 000 poules », soit 1 000 mètres carrés supplémentaires pour le bien-être de ses animaux.
Une forêt de 250 arbres fruitiers
D’un côté de son terrain se dresse un grand poulailler, espace abrité où les installations reproduisent au maximum le milieu naturel, avec des perchoirs en bois et une litière en copeaux. De l’autre se trouvent plusieurs parcours où les poules peuvent courir, voire même voler, gratter et picorer à l’air libre, à l’ombre des 250 fruitiers plantés pour recréer la biodiversité d’une petite forêt, avec ses insectes.
Outre d’apporter de l’ombre et des cachettes aux animaux, ces arbres permettent surtout de les nourrir. Avocats, longanes, pommes étoiles, noix de coco, goyaves, durians, ramboutans, ananas, papayes et autres trésors du verger, sans aucun intrant chimique, sont ainsi au menu des gallinacés, mais aussi de Kenny et de sa famille.
« La plus grosse dépense, lorsque l’on produit du bio, c’est l’alimentation des animaux. Un kilo d’aliment coûte 88 Fcfp en agriculture conventionnelle contre 220 Fcfp en bio », explique Kenny, qui doit faire venir son grain des pays importateurs en bio, soit la Nouvelle-Zélande, l’Union européenne ou les États-Unis, pour compléter ce que produit son exploitation. L’un de ses projets consiste à produire sur place l’alimentation nécessaire à ses poules. « Je plante et je sème mes graines tous les jours, mais cela prend du temps. Il faut au moins cinq ans à un arbre pour commencer à produire. C’est un projet à moyen terme. »
« J’ai rêvé de tout ça, alors je l’ai créé »
Son second projet serait de construire sur son terrain, derrière sa maison, quelques bungalows afin d’accueillir des visiteurs et de leur proposer des séjours en contact avec la nature. « J’aimerais développer du tourisme vert au sein de ma ferme », s’enthousiasme le jeune père de famille de 36 ans, qui déborde d’idées. « Il faut aimer la nature et les animaux pour faire ce que je fais. J’ai rêvé de tout ça, alors je l’ai créé. Je n’ai aucun regret et je ne souhaite en rien revenir en arrière, même si le statut d’auto-entrepreneur comporte des hauts mais aussi des bas. »
Tout comme Kenny, ses poules sont heureuses, et cela se voit. Notamment parce qu’elles ne tombent pas malades. « Je n’ai jamais eu à utiliser de traitement allopathique. Je préfère prévenir que guérir. Je guette la météo et les changements climatiques à venir avant de leur verser quelques gouttes d’huiles essentielles dans leur boisson, de menthe, eucalyptus ou camphrier, pour combattre le rhume par exemple. Ensuite, les poules se régulent toutes seules et vont chercher dans les parcours ce dont elles ont besoin. On leur donne aussi du riz pour imperméabiliser leur intestin, ce qui permet de favoriser et de protéger leur transit. »
Et quand ses poules se font vieilles et ne pondent plus, Kenny les revend, à petit prix, à ceux qui souhaiteraient les utiliser pour entretenir leur jardin. Il a fait le choix de ne pas les donner pour s’assurer que les personnes qui les prennent s’en occupent bien par la suite.
Montrer que c’est possible…
« Ici, on crée un cercle vertueux. L’animal nourrit le sol avec sa fiente, la terre nourrit les légumes et les fruits, et nous, on nourrit l’animal avec des grains bio, avant de vendre de l’aliment pour l’être humain. Dans l’œuf, il n’y a donc que des aliments sains, et en plus, la poule est heureuse, son bien-être est au summum. On s’approche de l’idéal, c’est difficile de faire plus ! »
C’est pour toutes ces raisons que sa ferme est souvent citée en exemple, à contre-courant des élevages plus intensifs qui existent également à la presqu’île. « Ce n’est pas normal qu’en Polynésie, l’on concentre plus de 80 % de la production en œufs sur 3 km2. Il faut faire un effort pour éviter d’avoir 60 000 poules parquées au même endroit, afin de réduire les risques sanitaires », s’insurge le jeune homme qui est aussi membre du bureau du Groupement de défense sanitaire animale de Polynésie française. « Beaucoup de gens sont attirés par mon modèle, mais il en faudrait encore d’autres pour montrer que c’est possible. »
En attendant de suivre son exemple, il est toujours possible d’acheter ses œufs, reconnaissables dans leurs boîtes vertes et noires, disponibles dans les rayons des hyper et supermarchés…, voire même d’acheter les œufs de ses confrères en bio car, comme le résume Kenny : « On est tous des collègues, on s’entraide, on n’a pas cette mentalité de s’écraser les uns les autres. ».
Voilà comment l’on raisonne lorsque l’on a choisi de placer l’animal et l’environnement, et non pas la productivité et l’argent, au cœur du système et au centre de sa vie. « J’ai fait de la finance donc je sais qu’avec ma ferme, où j’ai actuellement 1 000 poules, je pourrais gagner dix fois plus en agriculture conventionnelle. Mais est-ce que je serais dix fois plus heureux dans une grosse ferme ? Je préfère travailler dans ce cadre magnifique et vivre simplement et sainement, en mangeant les œufs, les fruits et les légumes de mon jardin. »